jeudi 31 janvier 2013

L'électricité ne sauvera pas la voiture individuelle

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, j'avoue que le matraquage médiatique autour de la voiture électrique m'interroge. Cela me donne l'impression que les constructeurs cherchent à nous convaincre que la fin programmée du pétrole ne va rien changer, et qu'en remplaçant nos vroum vroum par des zzzz zzzz, le monte restera tel qu'il est.

Alors bien entendu, comme l'autonomie de ces voitures est juste pathétique, on invente de nouveaux modèles, comme celui de Renault avec la société israélienne Better Place (on garde un modèle de rechargement équivalent à celui des carburants liquides, vous allez en station et on vous change les batteries "à plat" par des batteries chargées) et tout devrait...rouler !

Sauf que personnellement, je n'y crois pas une seconde. Tout d'abord parce que ces voitures coûtent un bras, rendez-vous compte que la petite citadine Zoé coûte près de 16000 € auxquels il faut ajouter un minimum de 80 € par mois pour les batterie (source). Ensuite parce qu'à ce prix délirant s'ajoute une autonomie juste ridicule de 150 km maximum. Enfin et comme j'en ai déjà parlé, le modèle de la voiture individuelle a du plomb dans l'aile (cygne, aile...humour !).

Mais ayons confiance en nos constructeurs et admettons que la voiture électrique vienne, peu à peu remplacer nos autos thermiques. Je dis "peu à peu" car le site Automobile Propre (ah, rien que l'association de ces deux mots me donne de l'urticaire !) nous apprend que 2012 a vu la vente de 5663 voitures électriques en France dont il faut retrancher les 1543 Bolloré Blue Car, soit le total prodigieux de 4120 voitures.

Je me suis alors demandé s'il était vraiment réaliste, énergétiquement parlant, de croire qu'un jour on puisse remplacer tout notre parc thermique par le même électrique, toutes choses égales par ailleurs, c'est à dire en gardant un modèle de mobilité largement basé sur le déplacement motorisé individuel. Allons y, étudions cela.

On commence par récupérer et les chiffres intéressants sur le site de l'INSEE sur la parc automobile de 2011 et le kilométrage par voiture.

Source : INSEE

Le calcul du kilométrage national global donne : 398 846 100 000 km parcourus en 2011 par les voitures françaises, soit environ 400 milliars de km, soit toujours environ 10 millions de fois le tour de la planète, pour un si petit pays, c'est hallucinant, non ?

Le magasine Challenges a eu la bonne idée de fournir des chiffres de consommation des voitures électriques. Pour les plus pointus, Tom Murphy a aussi fait un billet sur cette consommation avec des comparaisons essence versus électrique. Pour les calculs, je me suis basé sur l'article de Challenges, et choisi une voiture intermédiaire, la Nissan Leaf dont la consommation est estimée à 13.7 kWh pour 100 km.

400 milliars divisés par 100, cela nous donne 4 milliards de centaines de km pour lesquels il faut 13.7 kWh, soit une consommation annuelle d'environ : 54.8 TWh pour alimenter ces près de 32 millions de voitures.

Ok c'est bien joli, mais avec quoi je peux bien comparer ça ? Par exemple avec un réacteur nucléaire, facile. Un réacteur nucléaire classique en France, affiche une puissance moyenne de 1.3 GW, par "classique" il faut comprendre "réacteur à fission" ceux que l'on exploite en France. La fusion n'est toujours qu'un rêve de scientifique, et l'EPR, plus puissant avec 1.6 GW...ben on sait toujours pas comment le faire marcher apparemment. Comme nous en avons déjà causé ici, ce réacteur a un facteur de charge typique de 75%, c'est à dire qu'il fournit sa puissance nominale 3/4 du temps, le quart restant il est à l'arrêt en maintenance.

Sur une année, ce réacteur fournira donc 8,5 TWh d'énergie, la division est toute bête, pour alimenter près de 32 millions de voitures électriques, il faut construire un minimum de 7 réacteurs nucléaires, pas énorme en fait. C'est vrai.

Septembre 2013 - Mise à jour : Sauf que...le rendement de la production électrique tourne autour des 30%. Ca veut dire quoi ? Tout simplement que pour 1 kWh d'énergie que vous consommez (on l'appelle "finale"), il aura fallu produire 3 kWh d'énergie à la centrale (énergie que l'on appelle "primaire"). Autrement dit, ce ne sont pas 7 réacteurs qu'il faudrait construire, mais nous serions plus proche d'une vingtaine. Totalement infaisable.

De toutes façons, il faudrait alors composer avec quelques menues difficultés :
  • Le gouvernement s'est engagé à baisser la part du nucléaire dans le mix-énergétique français (je ferai un billet là dessus bientôt), sans que l'on sache bien vraiment comment et pourquoi, mais c'est un fait,
  • Le parc nucléaire français est actuellement composé de 58 réacteurs, qui sont relativement vieux, c'est à dire que dans les 20 ans qui viennent, décision sera très probablement prise d'en fermer quelques uns, et pour celui de Fessenheim, c'est déjà acté,
  • La catastrophe de Fukushima nous a rappelé qu'un accident est toujours possible, et a de fait rendu le nucléaire socialement difficile à accepter, d'une façon globale dans la population, mais aussi plus localement, c'est le fameux syndrome NIMBY
  • Le nucléaire est une énergie fossile, à savoir qu'il repose sur une ressource non renouvelable à l'échelle du temps humain, donc un jour, ce sera fini.

Alimenter 32 millions de voitures particulières à l'électricité semble donc un pari perdu pour le nucléaire. Essayons voir avec des éoliennes, c'est facile, il faut environ 2500 éoliennes pour remplacer un réacteur, on arrive donc à un total de 17500 éoliennes. Chiffre là aussi pas énorme quand on y réfléchit, mais quand on regarde les oppositions locales dès qu'il faut implanter un moulin, là non plus, c'est pas gagné.

Tout cela donne l'impression que la population veut le beurre, l'argent du beurre et la crémière, non ? Cela est juste le résultat d'une mauvaise éducation aux sciences et techniques, et aux médias qui ne font que moyennement leur boulot sur ces questions.

Maintenant, il y a aussi du boulot à faire côté constructeurs. Parce que la façon dont ils mettent aujourd'hui en place cette transition vers l'électricité ne me semble pas si judicieuse. Prenons le cas de la Renault Fluence, qui a le grand mérite d'exister en version thermique ET électrique. La version thermique DCi 105 pèse environ 1280 Kg, quand la version électrique accuse plus de 1600 Kg sur la balance ! Que s'est-il donc passé ?

On a enlevé un moteur diésel et sa transmission, pour mettre à la place des moteurs électriques avec le contrôle commande (160 Kg) auxquel sont venus s'ajouter 280 Kg de batteries ! Ajouter quelques menus équipements supplémentaires et voilà, un tank ! avec même pas l'autonomie...d'un tank ! Ou comment plomber le rendement d'un système qui mérite pourtant mieux.

Le plus gros souci de la voiture électrique est là. Cette transition devrait être alors l'occasion de modifier l'usage de la voiture (ça vient doucement), notamment en généralisant l'auto partage, le co-voiturage, etc ; mais aussi en travaillant sur l'objet voiture lui-même, quel intérêt en effet de déplacer 1.6 T pour trimballer 70 Kg de viande, surtout en ville où le trajet moyen est hyper court, 11 km. Mais ça bouge, notamment et encore avec Renault et sa Twizy, mais PSA est aussi sur le coup avec sa VéLV. Mais là encore, près de 500 Kg et 8000 € pour un truc sans porte (la Twizy), c'est risqué.

La conclusion s'impose d'elle-même, il n'y aura jamais 32 millions de voitures électriques. Il y en aura, c'est certain, toutes les flottes professionnelles à faible kilométrage quotidien passeront certainement à l'électrique.Certains "early adopter" sauteront aussi le pas. Mais comme avec les agro-carburants qui utilisent des terres qui pourraient servir à nourrir du monde, au fur et à mesure que la voiture électrique prendra son envol, le problème de la gouvernance de la consommation électrique deviendra de plus en plus aigu, il faudra alors décider si l'électricité servira en priorité nos usages quotidiens (cuisine, eau chaude, appareils en tous genres), ou nos besoins de mobilité.

On passera alors d'une problématique technique, à une problématique politique, et c'est en général là que les ennuis commencent.

mercredi 23 janvier 2013

Logistique : le pétrole "gratuit" en action

Je terminai mon précédent billet en disant que les tarifs de l'énergie sont à ce point dévalués qu'ils rendent le coût énergétique quasi nuls dans notre système économique. Et ce phénomène engendre des choses complètement illogiques.

Souvenez vous, en 2007, lors de la présentation de son Pacte Écologique, Nicolas Hulot mentionnait un accident dans le tunnel de Fourvière, tous deux transportaient des tomates, l'un venait de Finlande pour aller au Portugal et l'autre venait d'Espagne pour aller livrer ses denrées en Suède. Le truc complètement idiot que l'on a du mal à imaginer, non ?

Et bien je vais vous relater une situation tout aussi ubuesque. Récemment, j'ai fait l'acquisition d'un ordinateur portable chez Dell, marque que j'affectionne particulièrement et pour plusieurs raisons, mais qui sortent largement du cadre de ce blog ; et pour les geeks, j'utilise Linux dessus et pas Windows. Une fois la commande validée, je me suis empressé de me rendre sur le site d'UPS afin de suivre le cheminement de ce PC, et j'en suis resté sur le c.. !

Voici le cheminement pris par le colis :


Première constatation, pour effectuer un tel périple en 48 h, le colis a royalement voyagé en avion. C'est à dire avec le moyen le plus polluant par unité transporté, juste entre 25 et 80 fois plus que le bâteau ! Et comme la magie n'existe pas, c'est bien sur au pétrole que volent ces avions, pétrole qui fournit 98% de l'énergie des transports dans le monde.

Ça m'intéressait de regarder plus précisément le trajet emprunté par ce colis, j'ai pris mes outils favoris et commencé à dessiner des cartes à partir du tableau ci-dessus. Première partie, le voyage en Asie. Je me suis fié à la fiche Wikipédia de Dell pour déterminer que le colis est parti de la ville de Xiamen, dans la province chinoise de Fujian, mais c'est une simple supposition.

Sur la carte suivante, il y a donc Xiamen (A), Shanghai (B) et Incheon (C) étape terminale du colis en Asie.



La longueur du trajet en Asie est d'environ 1680 km, en supposant que les avions volent en ligne droite, ce que je n'ai pas réussi à apprendre des cartes des corridors aériens. Une fois arrivé à Incheon, probablement pour un rassemblement de colis, l'avion repart, cette fois pour l'Europe, exactement à Cologne en Allemagne.



Voilà, mon colis a parcouru 9650 km de plus, c'est bien loin la Chine, normal. Là où ça devient rock & roll, c'est que le colis va repartir, quasiment en sens inverse, direction le Kazakhstan.



Avec ça, on ajoute 5700 km environ au trajet. Et on se demande pourquoi on en arrive à de telles absurdités, car, comme on va le voir, le colis va revenir à Cologne, mais pas tout de suite. D'abord, on va faire un tour à Varsovie.


Ce qui nous ajoute 4300 km au compteur, puis on décolle pour le trip final à Cologne.


Et encore +970 km. Mais là, enfin ça y est, on part pour la France.




On ajoute encore 820 km et c'est la photo finish !

Le colis aura donc parcouru environ : 23120 km soit plus de la moitié de la circonférence de la terre. Est-ce normal ? Oui, tant que nous ne convaincrons pas Dell de fabriquer en Europe. Mais il y a quand même au moins une aberration, ce sont les 11000 km, soit quasiment la moitié du trajet, qui sont effectués pour "rien", c'est à dire que le colis part d'un point (Cologne) pour y revenir.

Si le coût du pétrole était suffisamment cher, on pourrait imaginer que le colis parte d'Incheon pour atterrir à Paris directement. Cela dit, il convient aussi de garder l'esprit que les transporteurs collectent le maximum de colis pour remplir les avions, donc que mon paquet ait transité via Cologne n'est pas spécialement choquant.

Mais j'ai beaucoup plus de mal à justifier le trajet de Cologne à Cologne en passant par le Kazakhstan. On ne peut pas justifier ce trajet pour des problèmes douaniers, ce pays n'est pas dans l'UE. Pis, il se trouve quasiment sur le chemin entre Incheon et Cologne ! C'est à dire que l'avion aurait pu se poser à Almaty et repartir pour Cologne, cela sans quasiment aucune "pénalité" pétrolière, mais non.

Il est certain qu'un pétrole plus cher aurait amené UPS à optimiser son trajet. Il est certain aussi qu'un pétrole plus cher aurait été en ma défaveur, mais là n'est pas la question.

On voit ici tout les avantages environnementaux que l'on pourrait tirer à augmenter la fiscalité sur l'énergie. Un pétrole plus cher remettrait les pros de la recherche opérationnelle au boulot pour optimiser au maximum les flux de transports. C'était tout l'enjeu de la Taxe Carbone que le même Nicolas Hulot avait inscrite au menu de son Pacte Ecologique en 2007. C'est une mesure pas facile à mettre en oeuvre, notamment parce qu'elle toucherait aussi les plus fragiles de la population, mais supprimer, via la fiscalité, des anomalies telles que celle que nous venons de voir, est une idée très séduisante.

Vous me direz que ces trajets sont déjà optimisés, ou peut-être que je suis tombé sur un cas isolé, un avion détourné par UPS pour un chargement exceptionnel et qui a impliqué cet aller-retour au Kazakhstan, par exemple, c'est toujours possible. Mais cela donne une idée de ce que peut donner un pétrole "gratuit" ou tout du moins transparent dans un système économique.

J'avais prévu de donner des chiffres en terme de consommation de pétrole et d'émission de gaz à effet de serre de ce "détour" de 11000 km, mais malheureusement, j'ai le plus grand mal à créer mon compte sur le site de l'Ademe, ce sera donc pour plus tard.

vendredi 11 janvier 2013

Mais au fait, c'est quoi l'énergie ?

Premier billet de 2013, alors il faut faire ça bien. Ça parle pas mal d'énergie sur ce blog (notamment , ou ), mais jamais on a parlé de ce que l'on met sous ce terme, nous allons donc remédier à ça.

Définitions


Quand on parle d'énergie, deux notions reviennent le plus souvent, et on a tendance à les confondre, ce sont la puissance et l'énergie.

Nous allons tout d'abord voir deux définitions de la puissance :
  • Mécanique : Ensemble de forces motrices, de tout ce qui imprime ou peut imprimer un mouvement. 
  • Quantité de travail fourni, ou susceptible d’être fourni ou consommé par une machine, en un temps déterminé.

Il faut donc comprendre ici que la puissance n'est en rien l'énergie, mais une force instantanée, c'est la notion de mise en oeuvre de cette force, pendant un temps déterminé, qui va donner la notion d'énergie. L'unité communément utilisée pour exprimer la puissance est le watt (W).

La définition de l'énergie sera alors :

L'énergie au sens de la science physique est une mesure de la capacité d'un système à modifier un état, à produire un travail entraînant un mouvement, un rayonnement électromagnétique ou de la chaleur. 

Autrement dit, toute action qui amène à la transformation de n'importe quoi entraîne la mise en œuvre d'énergie. Prenons un objet quelconque et changeons sa position, sa vitesse, sa masse, sa température, la pression à laquelle il est soumis, etc, tout cela entraîne la mise en œuvre d'énergie. Notez que mise en œuvre ne signifie pas obligatoirement consommation, cela peut être aussi une production, par exemple une voiture en freinant produit de l'énergie thermique.

Simplifions encore la façon de définir l'énergie, et là, normalement, tout devrait devenir très clair :

L'énergie n'est rien d'autre que l'indicateur principal de la société humaine qui repose sur la production et la consommation de biens manufacturés.

Ne nous y trompons pas, cette phrase n'est pas la lubie d'un militant écolo, elle repose sur une réalité physique, RIEN ne peut être fabriqué ou manipulé sans mise en œuvre d'énergie, fin de l'histoire ! Cette phrase est essentielle car prise dans l'autre sens, cela veut dire : à partir du moment où il y a une contrainte sur la disponibilité de l'énergie, alors la poursuite d'une société basée sur la production et la consommation de biens transformés est forcément remise en question.

L'unité scientifique officielle de l'énergie est le Joule (J), mais on utilisera ici bien plus souvent le watt-heure (Wh) et ses multiples (kWh, MWh, GWh,...).

1 Wh est alors la mobilisation d'une puissance de 1 W pendant 1 h, ce qui équivaut à 3600 Joules.

Quelques chiffres


Nous allons maintenant mentionner quelques chiffres. L'idée n'est pas de vous noyer, mais de donner quelques idées de grandeurs diverses.

Premier exemple : pour élever la température d'un litre d'eau de 1°C, il faut 4180 Joules, soit 1.16 Wh.

Deuxième exemple : un être humain adulte en bonne santé rayonne environ 100 W de puissance thermique, il va donc émettre 2.4 kWh d'énergie thermique sur une journée de 24 heures. Vous savez maintenant pourquoi il faut chaud dans les soirées bondées, la charmante personne à côté de vous n'y est malheureusement pour rien ! Voilà comment certains croient encore que le sang du Christ peut redevenir liquide, mais c'est un autre sujet.

Concernant votre corps, on passe sans problème de 100 W à 2.4 kWh car...vous fonctionnez 7/24 et heureusement, sinon vous seriez mort CQFD !

On perçoit mieux la différence entre puissance et énergie quand on cause de moyens de production. Par exemple, une éolienne classique a une puissance de 2 MW, mais elle est tributaire de la disponibilité du vent, ce qui fait que son facteur de charge (le taux auquel elle produit sa puissance nominale) n'est que de 20%. C'est ainsi que l'on passe d'une puissance de 2 MW à une énergie annuellement produite de 2 * 365 * 24 * .2 = 3500 MWh.

A contrario, un réacteur nucléaire classique développe une puissance de 1.3 GW. Et comme son facteur de charge est de 75 %, il fournit sur une année : 1300 * 365 * 24 * 0.75 = 8541000 MWh.

Pour remplacer ce réacteur par des éoliennes, il faut donc environ 2500 éoliennes. Attention, ce chiffre n'est pas à prendre au pied de la lettre (d'autres paramètres sont aussi à considérer), mais ça donne un ordre de grandeur. Et il montre pourquoi la priorité des priorités doit être de faire baisser la demande énergétique, c'est à dire notre consommation à tous, si nous voulons faire baisser la part du nucléaire dans notre mix énergétique.

Ok, mais dans la vraie vie, on fait quoi avec ça ?


Prenons le cas de Bob et disons que Bob pèse 72 kg et qu'il doit transporter une charge de 20 kg sur un dénivelé de 4000 m. Selon la formule E = m.g.h (produit de la masse par l'accélération terrestre par la hauteur), Bob produira avec ses petites gambettes une énergie mécanique de :
92 * 9.81 * 4000  = 3.61 MJ soit grosso modo 1 kWh.

Si vous êtes très bons, alors vous mettrez environ 10 h pour faire cette ascension et donc pour produire ce kWh d'énergie mécanique.

Faisons un petit calcul de coût tout bête. Le Smic horaire brut était de 9.4 € en 2012. Si vous employez quelqu'un, au Smic, pour faire cette ascension, alors votre coût en tant qu'employeur (ajoutez 50% au coût brut) sera d'environ : 9.4 * 1.5 * 10 =  141 € et bien entendu plus si votre grimpeur ne joue pas dans la bonne catégorie !

Pourquoi parle-t-on de prix ? Juste pour remettre en perspective la décorrélation totale entre les services que l'énergie nous rend aujourd'hui et son coût.

Par exemple, savez-vous combien vous coûte le kWh d'électricité d'EDF en heures pleines ?...11 cts. Si nous utilisons ce kWh dans un moteur électrique au rendement de 90%, alors vous faites cette ascension, électrique, pour 10 cts. Il y a donc, en terme de coût, un rapport de 1400 entre notre grimpeur et un moteur électrique .

Dans le même ordre d'idée, un litre d'essence vous fournit environ 10 kWh d'énergie thermique. Sachant que le rendement global d'une voiture est de 10%, alors vous prenez conscience que pour 1.5 €, vous obtenez de quoi faire votre ascension, on est sur un rapport 100 environ.

Une fois que vous avez ingurgité tout cela, vous comprenez pourquoi l'être humain est remplacé par la machine (et je ne parle même pas des grèves, arrêts maladie,...) partout où c'est possible. Une autre façon de voir la chose est de se dire que si on regarde les services rendus par l'énergie, son coût est marginal, l'énergie est quasi gratuite aujourd'hui. Or s'il y a dès aujourd'hui un problème sur la disponibilité du pétrole, et que l'économie n'est plus en corrélation avec cette réalité physique, il va y avoir comme un problème.


On en reparlera dans un prochain billet.


vendredi 21 décembre 2012

Tom Murphy : Quand l'économie rencontre l'énergie, les limites physiques à la croissance

Introduction

Vous ne connaissez probablement pas Tom Murphy. Tom Murphy est américain, et professeur de physique à l'université de Californie. Il tient un blog, en anglais, sur les questions physiques et énergétiques. Il y a quelques mois, Tom Murphy était invité à un banquet au cours duquel il a rencontré un économiste, éminent professeur dans une prestigieuse institution américaine. Sur son blog, il retranscrit cette conversation aussi précisément que sa mémoire le lui permettait. Comme je trouve ce billet vraiment passionnant, je me suis amusé à le traduire en Français. Bonne lecture.

Note : J'ai choisi les initiales TM pour "Tom Murphy" et E pour "Économiste" (le texte sera en italique).

Acte 1 : Pain et Beurre

TM : Bonjour, je m'appelle Tom, je suis professeur de physique.

E : Bonjour Tom, je m'appelle (...), je suis professeur d'économie.

TM: Ah, bonne nouvelle. Depuis un moment je réfléchis un peu à la croissance et je voudrais discuter avec vous d'une idée. Je pense que la croissance économique ne peut pas continuer indéfiniment.

E : Ah bon ? Vous pensez vraiment que la croissance ne peut PAS continuer pour toujours ?

TM : C'est bien ça. Je pense que la limite viendra des limites physiques.

E : Bien sur, rien ne peut vraiment durer pour toujours. Le soleil, par exemple, ne va pas bruler pour toujours. Sur une échelle de quelques milliards d'années, les choses prennent fin.

TM : Bien sur, mais je parle d'une échelle de temps plus immédiate, ici, sur terre. Les ressources physiques de la terre, et en particulier celles de l'énergie, sont limitées et devraient empêcher la poursuite de la croissance d'ici quelques siècles, voire même avant, tout dépendra des choix que nous ferons. Il y a des considérations thermodynamiques à cela.

E : Je crois que l'énergie ne sera jamais un facteur limitant de la croissance économique. Bien sur, les combustibles fossiles conventionnels sont limités. Mais nous pouvons leur substituer des ressources non conventionnelles comme les schistes bitumineux, le gaz et pétrole de schistes, etc. Avant que toutes ces ressources soient épuisées, nous aurons le temps de construire des infrastructures basées sur les énergies renouvelables éolienne, solaire, et géothermique, plus la prochaine génération de fission nucléaire et potentiellement la fusion nucléaire. Et dans le futur, il y aura probablement des technologies énergétiques que nous n'avons pas encore explorées.

TM : Bien sur, cela peut arriver, et j'espère que ce sera le cas à une échéance pas trop lointaine. Mais regardons les conséquences physiques d'une augmentation de la consommation énergétique dans le futur. A quel taux moyen la consommation énergétique a-t-elle augmenté au cours des quelques siècles passés ?

E : Je dirais quelques pourcents, disons entre 2% et 5%.

Consommation énergétique totale des USA depuis 1650. L'échelle verticale est logarithmique, la droite représentée ici (sa pente est de 2.9% par an) est donc une courbe exponentielle. Source : Agence Internationale de l’Énergie.


TM : C'est ça, si vous tracez la consommation d'énergie totale aux USA de 1650 à nos jours, vous verrez une augmentation incroyablement constante d'environ 3% par an. La situation à l'échelle du monde est similaire. Alors, combien de temps pensez-vous que nous pourrons continuer ainsi ?

E : Regardons ça, 3% d'augmentation par an signifie un doublement tous les 23 ans. Donc, une augmentation d'un facteur 15 à 20 chaque siècle. Je vois où vous voulez en venir. Continuer comme cela encore quelques siècles peut sembler absurde. Mais n'oubliez pas que la population a augmenté sur votre période d'étude. La population cessera d'augmenter avant la fin de ce siècle.

TM : C'est vrai. Donc nous sommes d'accord pour dire que la consommation d'énergie ne continuera pas indéfiniment. Mais je voudrais dire 2 choses avant de continuer :
  • Tout d'abord, la croissance de l'énergie a largement dépassé la croissance démographique, de sorte que la consommation d'énergie par habitant a bondi de façon spectaculaire au fil du temps, ainsi l'intensité énergétique de nos vies est beaucoup plus importante que ce qu'elle était du temps de nos arrières-arrières-grands-parents (nos vies sont plus riches). Donc, même si la population se stabilise, comme nous sommes habitués à la croissance de l'énergie par habitant, l'énergie totale consommée devrait continuer à croître, selon cette tendance,
  • Enfin, les limites de la thermodynamique nous imposent de limiter notre consommation d'énergie au risque de nous faire cuire nous-mêmes. Je ne parle pas de réchauffement climatique, de CO2, etc. Je parle du rayonnement de l'énergie consommée vers l'espace. J'imagine que vous êtes d'accord pour limiter notre conversation à la terre sans parler de voyage dans l'espace, colonisation de planètes, vivre à la Star Trek, etc.
E : Tout à fait d'accord, restons sur terre.

TM : Très bien, la terre n'a qu'un seul moyen pour relâcher la chaleur vers l'espace, c'est le rayonnement infrarouge. Nous maîtrisons parfaitement ce phénomène, et nous pouvons prédire la température à la surface de la terre en fonction de l'énergie que l'humanité consomme.
Le fait est que, à un taux de croissance de 2,3% (idéalement choisi pour représenter une augmentation de *10 chaque siècle), nous atteindrons la température d'ébullition dans environ 400 ans. Et cette affirmation est indépendante de la technologie.Même si nous ne connaissons pas encore cette source d'énergie, tant qu'elle obéit à la thermodynamique, en augmentant perpétuellement notre consommation d'énergie, nous allons nous faire cuire.

E : C'est incroyable. Et ne pourrions-nous pas envoyer cette chaleur ailleurs avec un moyen technologique quelconque, plutôt que de dépendre du rayonnement thermique ?

TM : Eh bien, nous pourrions (et nous le faisons parfois) envoyer des rayonnements non-thermiques dans l'espace, comme la lumière, les lasers, les ondes radios, etc. Mais ces "sources" sont de haute intensité, avec une faible entropie d'énergie. Or, nous parlons ici d'éliminer la chaleur générée par tous les procédés par lesquels nous consommons de l'énergie. Mais cette énergie est thermique par nature. Nous pourrions récupérer une petite partie de cette énergie à des fins utiles, mais avec une très basse efficacité thermodynamique. Si vous voulez avoir des activités à très haute intensité énergétique, avoir une entropie importante sous forme de chaleur est inévitable.

E : D'accord, mais je pense toujours que notre futur peut facilement s’accommoder d'une consommation énergétique stable. Nous allons l'utiliser plus efficacement et pour des activités nouvelles qui contribuent à soutenir la croissance.

TM : Avant de répondre à ça, je voudrais mentionner un point important. Si nous maintenons ce taux de 2,3%, d'ici 400 ans, nous serons à un point où nous consommerons la totalité de l'énergie solaire arrivant sur terre. Et dans 1400 ans, nous consommerons la totalité de l'énergie du soleil lui-même. Dans 2500 ans, nous consommerons la totalité de l'énergie produite par notre galaxie (la voie lactée - 100 milliards d'étoiles !). Je pense que vous comprenez l'absurdité d'une croissance continue de la consommation énergétique. Et 2500 ans, ce n'est pas si long que ça d'un point de vue historique. Nous savons ce qui se passait sur terre il y a 2500 ans. En tous les cas, je crois savoir ce que nous ne ferons pas dans 2500 ans.

E : C'est vraiment remarquable, merci pour la démonstration. Vous avez dit environ 1400 ans pour consommer l'équivalent de l'énergie produite par le soleil ?

TM : Oui, c'est ça. Et dans ce scénario aussi, la thermodynamique a son mot à dire. Si nous essayons de produire de l'énergie, sur terre, à un rythme suffisant pour atteindre celle du soleil dans 1400 ans, alors la physique dit que la surface de la terre devra être plus chaude que celle du soleil, qui est plus importante. C'est exactement comme une lampe de 100W qui est plus chaude que votre corps, et le mien, qui produisent aussi 100 W d'énergie thermique mais sur une plus grande surface.

E : Je comprend, ça me semble logique.


Acte 2 : Salade

E : Bon, vous m'avez convaincu, cette idée de la croissance d'énergie était mauvaise, et nous devrons un jour stabiliser notre consommation d'énergie sur une valeur globalement constante. Je suis au moins prêt à accepter cela comme un point de départ pour discuter des perspectives à long terme pour la croissance économique. Mais pour revenir à votre première déclaration, je ne vois pas en quoi cela menace une croissance économique continuelle.

D'une part, nous pouvons garder la l'enveloppe énergétique constante et faire toujours plus avec cette dotation via des programmes d'efficacité énergétique. L'innovation amène de nouvelles idées sur le marché, cela stimule l'investissement, la demande, etc. Cela ne va pas s'arrêter là. Il y plein d'exemples de ressources fondamentales en déclin, rendues obsolètes ou remplacées par des innovations qui adressent les problèmes différemment.

TM : Oui, cela arrive et continuera à un certain niveau. Mais je ne pense pas que cela représente des ressources illimitées.

E : Pensez-vous que l'ingéniosité de l'esprit humain a une limite ? Ce pourrait être vrai,
mais nous ne pouvons pas prédire de façon crédible à quel point nous pourrions être d'une telle limite.

TM : Ce n'est pas vraiment ce que j'ai à l'esprit. Prenons l'efficacité, il est vrai qu'au fil du temps, les voitures consomment moins, les réfrigérateurs aussi, les bâtiments sont construits plus intelligemment pour conserver l'énergie, etc. Les meilleurs exemples montrent une amélioration d'un facteur 2 sur 35 ans, ce qui revient à 2% par. Mais beaucoup de choses sont déjà d'une efficacité proche du maximum. Les moteurs électriques, par exemple, ont une efficacité de 90%. Il faudra toujours 4184 joules pour élever la température d'un litre d'eau de 1°C. Et puis nous avons les gros consommateurs d'énergie, comme les centrales électriques, qui, eux, ne s'améliorent que doucement, 1% par an voire moins. Et ces activités tendent vers une efficacité d'environ 30%. Combien de "doublements" d'efficacité pouvons-nous attendre ? Si la majorité de nos systèmes n'étaient efficace qu'à 0.01%, je serais plus enthousiaste dans les programmes d'efficacité et la croissance pour les siècles à venir. Mais nous ne pourrions avoir encore qu'un seul doublement possible de l'efficacité, et nous avons moins d'un siècle pour le réaliser.

E : Ok, je comprends. Mais il y a plus dans l'efficacité que de simples améliorations incrémentales. Il y a aussi les changements de perspectives. La téléconférence au lieu des voyages en avion. Les ordinateurs portables remplacent ceux de bureau. L'iPhone remplace les ordinateurs portables, etc, chacun étant bien plus frugal que le précédent. Internet est un exemple d'une innovation qui change notre manière d'utiliser l'énergie.

TM : Ce sont des exemples pertinents, et j'attends bien que nous poursuivions cette discussion. Mais nous avons besoin de manger [rappel : nos protagonistes discutent lors d'un dîner de gala], il ne peut y avoir d'activité sans énergie. Il y a bien sur des activités à faible intensité énergétique, mais tout ce qui a une valeur économique ne se peut passer d'énergie.

E : Mais nous pouvons nous en approcher. Considérons la virtualisation. Imaginons que, dans le futur, nous habitions dans des maisons virtuelles et voyons tous nos désirs satisfaits grâce à des astuces de stimulation neurologique. Nous aurions toujours besoin de nourriture, mais l'énergie nécessaire pour vivre une vie à haute intensité énergétique serait relativement faible. Ceci est un exemple de technologie de rupture qui élimine le besoin d'une haute intensité énergétique. Envie de passer un week-end à Paris ? Vous pourriez alors le faire sans bouger de votre fauteuil. [TM pense que ce serait plutôt comme sur des toilettes].

TM : Je vois. Mais c'est encore une dépense d'énergie finie par personne. Non seulement il faut de l'énergie pour alimenter la personne (aujourd'hui il nous faut 10 kilocalories d'apport d'énergie pour produire une kilocalorie alimentaire, pas moins), mais aux standards actuels, l'environnement virtuel nécessite également un super-ordinateur pour chaque voyageur virtuel. Le supercalculateur à l'UCSD [Université de San Diego] consomme quelque chose comme 5 MW de puissance. Certes, on peut s'attendre à une amélioration de ce côté là, mais un supercalculateur d'aujourd'hui mange 50.000 fois plus qu'une personne, donc il y a un fossé important à franchir. C'est une idée peu convaincante, et puis tout le monde ne veux pas vivre cette existence virtuelle.

E : Vraiment ? Qui pourrait la refuser ? Tous vos besoins satisfaits et un style de vie extravagant, n'est-ce pas désirable ? Moi, j'espère pouvoir vivre un jour comme cela.

TM : Pas moi. Je pense que beaucoup préfèrerons l'odeur des vraies fleurs, même avec les pucerons et les éternuements, la sensation du vrai vent qui décoiffe les cheveux, et même la vraie pluie, les vraies piqures d'abeilles, et tout le reste. Vous pourriez être capable de simuler toutes ces choses, mais tout le monde ne veut pas vivre une vie artificielle. Et tant qu'il y aura des récalcitrants, le plan de compression des besoins énergétiques à un niveau artificiellement bas échoue. Sans même parler de satisfaire nos besoins en bio-énergétiques.

Acte 3 : Plat principal

TM : Mais quittons la Matrice et partons à la chasse. Imaginons un monde où la population et la consommation d'énergie seraient stables. Je pense que nous sommes tous deux d'accord sur ces paramètres physiques imposés. Si le flux d'énergie est fixé, et si nous faisons l'hypothèse d'une croissance économique continue, alors le PIB continue de croître pendant que l'énergie constante. Cela signifie que l'énergie (une ressource physiquement contrainte) doit devenir de moins en moins chère au fur et à mesure de la croissance du PIB, jusqu'à ce que l'énergie ne coûte plus rien.

E : Oui, je pense que le rôle de l'énergie dans l'économie va diminuer, ainsi nous n'avons pas à nous inquiéter que son prix soit bas.

TM : Wow ! Vous croyez vraiment cela ? Une ressource physiquement limitée (= rareté) qui est fondamentale pour toute activité économique deviendrait artificiellement peu onéreuse ? [Tom Murphy détourne alors l'attention de son assiette, un peu abasourdi]

E : [après réflexion] Oui, j'y crois vraiment.

TM : Ok, soyons clairs et surs de parler de la même chose. L'énergie est actuellement environ 10% du PIB. Disons que nous plafonnons la quantité physiquement disponible annuellement à un certain niveau, mais que nous laissons le PIB croître. Dans ce cas, nous ne devons plus nous préoccuper de l'inflation, si mes 10 unités d'énergie coûtent cette année 10 k$ de mon revenu de 100 k$ ; l'année d'après, cette même enveloppe énergétique coûtera 11 k$ quand je gagnerai 110 k$. Mais alors, cette inflation est vide de sens, il faut l'ignorer ; sinon dans ce cas, la croissance du PIB ne serait pas réelle, mais une simple remise à l'échelle de la valeur monétaire.

E : Je suis d'accord.

TM : Alors, pour avoir une croissance réelle du PIB avec une enveloppe énergétique constante, le coût fractionnaire de l'énergie, par rapport au PIB global, décroît.


E : C'est correct.

TM : Comment voyez-vous alors l'évolution ? Est-ce que l'énergie sera de 1% du PIB ? 0.1% ? Y-a-t-il une limite ?

E : Il n'y a pas besoin d'en avoir. L'énergie peut être d'une importance secondaire dans l'économie à l'avenir, comme dans le monde virtuel que j'ai illustré.

TM : Mais si le prix de l'énergie devient si faible, quelqu'un pourrait acheter toute l'énergie disponible, ce qui amènerait à la paralysie des activités, y compris économiques, qui dépendent de l'énergie. La nourriture arrêterait d'arriver dans nos assiettes sans énergie, donc les gens seront attentifs à cela. Quelqu'un sera alors prêt à payer plus pour cela. Tout le monde le fera. Il y aura finalement un prix plancher, un fraction du PIB en dessous de la laquelle le prix ne descendra pas.

E : Ce plancher peut être très bas, bien moins que 5 à 10 % du prix que nous payons aujourd'hui.

TM : Mais y-a-t-il un limite ? Jusqu'où êtes vous prêts à aller ? 5% ? 2% ? 1% ?

E : Disons 1%.

TM : Donc une fois le prix de notre enveloppe énergétique fixé à 1% du PIB, les 99% restants sont coincés. S'ils tentent d'augmenter, alors les prix de l'énergie doivent monter en proportion et nous avons l'inflation monétaire, mais pas une croissance réelle.

E : Eh bien, je n'irai pas aussi loin. Vous pouvez toujours avoir de la croissance sans augmentation du PIB.

TM : Mais il me semble que vous comprenez que le coût de l'énergie ne descendra pas à un niveau artificiellement bas.

E : Oui, je me dois de retirer cette déclaration. Si l'énergie disponible est plafonnée avec un quota fixe chaque année, alors cela devient une préoccupation pour l'économie, il ne faut pas cela mette l'économie en danger.

TM : Même les premiers économistes comme Adam Smith avaient prévu la croissance économique comme une phase temporaire qui ne dure que quelques centaines d'années, la limite ultime venant de la terre elle-même (qui est encore l'endroit d'où nous tirons notre énergie). Si la société humaine vit sur le long terme, il est clair que c'est la théorie d'une économie stable et équilibrée qui prévaudra, contrairement à celle, actuelle, de la croissance. Oubliez Smith, Keynes, Friedman, et consorts. On se souviendra bien plus longtemps des économistes qui théorisent cet état d'équilibre, que des camarades apôtres de la croissance.

[l'économiste regarde alors au loin, en appréciant cette pensée]

Acte 4 : Dessert

E : Finalement, je ne suis pas d'accord avec cette théorie que la croissance doit s'arrêter une fois que l'on aura limité les prix et la disponibilité de l'énergie. Il y aura toujours des innovations que les gens sont prêts à acheter qui ne nécessitent pas d'énergie supplémentaire.

TM : Les choses vont certainement changer. Un "état d'équilibre" ne veut pas dire statique. Les modes feront toujours partie de ce que nous faisons, nous n'allons pas cesser d'être humain. Mais je suis convaincu que c'est un jeu à somme nulle. Les modes vont et viennent. Une fraction du PIB ira toujours vers ces modes, ces gadgets, mais une mode nait, meurt et laisse la place à une autre. L'innovation maintiendra un certain flux économique, c'est certain, mais pas nécessairement un flux croissant.

E : Ah, la question clé est alors de savoir si nous vivrons mieux dans 400 ans qu'aujourd'hui. Même si l'énergie et le PIB seront plafonnés, est-ce que la qualité de vie continuera d'augmenter, objectivement ?

TM : Je ne sais pas ce qu'une telle mesure objective peut être. Beaucoup aujourd'hui préfèreraient vivre comme dans le passé. Peut-être est-ce dû à de l'ignorance ou la nostalgie du passé (des années 50 en particulier). Il peut être très excitant d'imaginer vivre dans l'Europe de la Renaissance, jusqu'à ce qu'un seau d'excréments, jeté depuis une fenêtre, vienne éclabousser la rue et vos vêtements avec. A quels progrès objectifs, pensez-vous ?

E : Eh bien, prenez ce dessert par exemple, avec ses décorations faites de tourbillons de sirop. C'est merveilleux.

TM : Et gouteux.

E : Nous apprécions ces desserts, simples, sans fioritures. En fait, on peut imaginer un dessert équivalent avec des ingrédients équivalents, avec le sirop simplement proposé à côté. Mais nous donnons plus de valeur au gâteau décoré. Donc les chefs vont continuer d'innover. Imaginez un incroyable dessert dans 400 ans,vous n'auriez jamais imaginé qu'un dessert puisse être si merveilleux à regarder et si incroyablement bon. Les gens feraient la queue pour mettre la main sur un tel gâteau. Pas plus d'énergie, ni d'ingrédients, mais une valeur accrue pour la société. C'est une forme d'amélioration de la qualité de vie qui ne nécessite pas de ressources supplémentaires, et qui peut même coûter ou rapporter la même fraction de PIB.

TM : Je souris parce que cela me rappelle une histoire similaire. J'étais à l'Observatoire Palomar avec un gourou de l'instrumentation nommé Keith qui m'a beaucoup appris. Le repas que Keith pour la nuit, préparé dans la soirée à la cuisine de l'observatoire et placé dans un sac marron, était un sandwich au thon en 2 parties : des tranches de pain dans un sac plastique, et la salade au thon dans une petite boîte en plastique (pour éviter que la salade ne rende le pain tout trempé). Keith renversa la boîte de thon sur la pain, puis plaqua la 2é tranche de pain sur le thon sans même l'étaler. Ca ressemblait à un serpent qui venait de manger un rat. Perplexe, je lui ai demandé s'il avait l'intention d'étaler le thon avant de le manger. Il m'a regardé bizarrement (comme Morpheus dans Matrix : "Tu crois que c'est l'air que vous respirez ? Hmm ?"). Et il a dit, mémorable : "Tout va au même endroit."

Ce que je veux démontrer c'est que ces stupéfiantes présentations sur nos desserts n'auront pas une valeur universelle dans la société. Ils vont tous au même endroit après tout. [Je vais partager un secret peu connu, il est difficile de faire aussi bien que les desserts Hostess Ding Dong, mais je ne suis pas sur que les 5% du prix pour les décorations soient justifiés] [note de traduction : Hostess Ding Dong était une marque de gâteaux américaines qui a fermée depuis.]

Acte 4 : Contemplations d'après dîner

La présentation d'après dîner commença et nous interrompirent notre conversation. Mais je continuais à y penser. "Cela n'aurait pas dû arriver. Un éminent économiste ne devrait pas avoir se dédire de ses déclarations sur la nature fondamentale de la croissance lorsqu'il parle avec un scientifique sans aucune formation en économie. Mais plus la soirée avançait, plus l'espace dans lequel l'économiste évoluait se rétrécissait.

Tout d'abord, il a dû reconnaître que l'énergie peut avoir des limites physiques. Je ne pense pas que cela faisait partie de sa maison virtuelle initiale.

Puis, l'argument de l'efficacité a été dévalué de "technologie de rupture" à de simples transformations technologiques. La réalité virtuelle a joué un rôlede premier plan dans ce genre d'argument.

Enfin, même après avoir accepté les limites de la croissance de l'énergie, il a d'abord cru que cela se révèlerait de peu de conséquences pour l'économie. Mais il a dû finalement admettre un prix plancher à l'énergie et donc un terme à la croissance traditionnelle du PIB avec un prix stable de l'énergie.

J'ai le sentiment que l'idée, que se fait cet économiste, de la croissance a été mise en difficulté durant ce dîner. Peut-être n'a-t-il pas mis en avant ses meilleurs arguments. Pourtant il était très fort et ses arguments me semblaient être de très bon niveau. Cet épisode me semble très éclairant sur l'obscurantisme de la pensée économique traditionnelle. Les limites physiques sont par trop peu considérées, de même que le caractère non uniforme de l'être humain, qui peut faire des choix qui nous semblent irrationnels, juste pour se sentir libre et indépendant.

Je me suis récemment motivé pour lire un vrai livre d'économie, écrit par des gens qui comprennent et considèrent les limites physiques. Ce livre "Ecological Economics", de Herman Daly et Farley Joshua déclare dans sa note aux instructeurs :

...nous ne partageons pas l'opinion de nombre de nos collègues économistes que la croissance va régler les problèmes de l'économie, que l'intérêt personnel est la seule motivation de l'être humain, que la technologie trouvera toujours un substitut aux ressources en déplétion, que le marché peut s'appliquer efficacement à tout types de biens, que le marché libre mène toujours à un équilibre entre l'offre et la demande, ou que les lois de la thermodynamique n'ont rien à faire avec l'économie.

Voilà un livre pour moi !

Épilogue

La conversation retranscrite ici m'a aussi amené à remettre en question mes propres opinions.
J'ai passé le reste de la soirée à réfléchir à la question : « Dans un modèle dans lequel le PIB est fixe dans des conditions d'énergie stable, la population est stable, l'économique équilibrée : si l'on accumule les connaissances, si l'on améliore la qualité de la vie, et finalement si l'on crée un monde incontestablement plus désirable dans lequel vivre, n'est-ce pas une forme de croissance économique ?"

Je dois admettre que oui, ça l'est. Cela apparaît souvent sous le titre "développement" plutôt que "croissance". J'ai de nouveau rencontré cet économiste le lendemain et nous avons poursuivi cette conversation, finalisant les idées que nous avions laissé en suspend pendant la présentation. Je lui racontais mon idée, encore en gestation, que oui, nous pouvons améliorer la qualité de la vie sous un régime stable. Je ne crois pas que j'aurais pu le formuler autrement, mais je ne considère par cela comme une forme de croissance économique. Une façon d'encadrer le débat serait de se demander si les gens qui vivront dans 400 ans seront comme nous, exercerons-ils les mêmes métiers ? Cette vie future sera-t-elle objectivement meilleure ? Même avec une enveloppe énergétique stable ? Le même PIB ? Les mêmes revenus ? Si la réponse est oui, alors ces personnes du futur en auront plus pour leur argent et leur énergie. Cela peut-il se poursuivre indéfiniment (en milliers d'années) ? Peut-être. Avec une progression de 2% par an (*10 par siècle) ? J'en doute.

Je peux donc tordre ma pensée en pensant à ce développement de la qualité de vie, dans un régime stable, comme une forme de croissance infinie. Mais ce n'est pas la croissance de mon père. Ce n'est pas la croissance du PIB, ni celle de l'énergie, ni celle des intérêts bancaires, des prêts, de la réserve monétaire, ou de investissements. C'est un jeu totalement différent les gars ! Cela, j'en suis convaincu. De grands changements nous attendent. Une économie méconnaissable. La principale leçon pour moi, c'est que la croissance n'est pas un "bon nombre quantique», comme les physiciens diront : ce n'est pas un invariant de notre monde. Accrochez-vous à elle à vos risques et périls.

jeudi 13 décembre 2012

Voiture, le chant du cygne

Comme tout le monde l'aura compris, à moins de vivre coupé du monde, le monde de l'automobile va mal. Disons plus précisément que les constructeurs généralistes vont mal. Les constructeurs de luxe (les vroum vroum pour jouer à celui qui a la plus grosse) vont bien surtout grâce aux pays émergents, et les low cost (Dacia et compagnie) arrivent à tirer leur épingle du jeu...pour l'instant.

Cette situation est loin d'être nouvelle, rappelez vous février 1994, la prime à la casse de Balladur ; nous sommes en 2012, bientôt 2013, cela fait donc presque 20 ans (!) que l'automobile vit sous perfusion.

Que n'y-a-t-il eu de lamentations médiatisées pour pleurer la compétitivité perdue de notre France, d'appels au secours des constructeurs, eux aussi passablement médiatisés, pour quémander quelques deniers. Bref la bagnole se lamente et c'est tout le pays, médiatique, qui pleure à l'unisson. Mais au milieu des articles compatissants, il y a, à mon sens, 2 causes qui sont sous-estimées, l'une est économique, l'autre est un changement des usages.

La cause économique est je pense tout simplement celle de l'inadéquation entre le coût réel de possession d'une voiture et les moyens de la population. Il me revient en mémoire une anecdote que m'a racontée mon père il y a quelques années. Il me disait alors que, dans les années 70, il avait failli s'acheter une Ferrari Daytona d'occasion. A l'époque, me disait-il, une Daytona de 10 ans d'âge coûtait dans les 60 000 francs, ce qui était, somme toute abordable, même pour l'employé de commerce qu'il était alors.

Alors, j'ai recherché des infos là-dessus.Sur le site de l'INSEE, on trouve les statistiques concernant l'évolution du SMIC, nous pouvons donc faire le rapide calcul suivant :
19802012
Smic2563,55 Frs1425,67 €
Ferrari de 10 ans60 000 Frs90 000 €
Coût (nb de mois)2463

Pour information, j'ai choisi un modèle de Ferrari équivalent, de 10 ans, soit la 575M que l'on trouve communément pour 90 000 €.

Je vois dans ce tableau, le symbole de l'augmentation des inégalités dans ce pays qu'est la France, et la difficulté croissante de financer une voiture pour tout un chacun. L'Automobile Club de France a d'ailleurs publié une étude très intéressante sur le coût de possession d'une Renault Clio de base, et le résultat est édifiant, une Clio vous coûte près de 6000 € par an si vous l'achetez neuve et la conservez 4 ans. Cette étude nous apprend surtout que ce coût a augmenté de 4 % par rapport à l'année précédente. Si l'on va voir du côté de l'INSEE, on remarquera que l'évolution du salaire de base est loin d'afficher la même progression puisque la moyenne de l'augmentation du salaire de base sur les 5 dernières années est de 2.3 %.

Nous roulons donc dans des voitures toujours plus performantes, plus grosses, plus chères ; mais surtout dont la variation des prix se déconnecte de l'évolution des revenus des acheteurs. Même les low-cost sont touchées par cette évolution. Les constructeurs, lancés sur la folie de la toujours plus grosse, en oublient les réalités économiques. Alors devant ce tableau peu réjouissant, que fait la population ? Elle se détourne de la voiture, on rentre là dans la deuxième cause de ce déclin, celui du changement des usages.

En effet, de la même manière que nous faisons face au peak oil, de nombreux signaux mettent en évidence que les pays occidentaux font aussi face au peak car, c'est à dire que nous avons passé le point culminant de notre utilisation de la voiture et que l'usage de celle-ci maintenant décroît. De nombreuses recherches ont été menées à l'étranger sur cette question, et les résultats convergent. Au Royaume-Uni, ou aux États-Unis, le constat est partagé, même le célèbre Time y a consacré un article récemment. Et en France alors ? Pareil, un article de Actu-Environnement de 2007 analysait déjà le phénomène. Ok, mais 2007, c'est loin, qu'en est-il aujourd'hui ? La tendance ce poursuit si l'on en croit l'INSEE, voici l'évolution du parcours moyen effectué par une voiture en France métropolitaine sur les 5 dernières années.

Parcourd moyen d'une voiture sur 5 ans en France
Source: INSEE

Ce qui est surprenant dans ce résultat, c'est que le kilométrage moyen baisse depuis maintenant plus de 10 ans, alors que le parc automobile, lui, augmente de manière constante sur cette période. Voici les statistiques sur 5 ans.

Source: INSEE

Le parc est de plus en plus fourni, mais roule de moins en moins. J'ai donné un lien vers un article anglais, mais nous pouvons regarder directement les statistiques fournies par le ministère des transports du Royaume-Uni. Nous observons que le kilométrage moyen diminue aussi là-bas depuis 2007/2008.

Source : Transport Statistics Great Britain 2011

Force est de constater que nous assistons à une modification profonde des usages de l'automobile. Mais d'où peut bien venir cette évolution ? En fait, il n'y a pas une cause à ce phénomène, mais plusieurs. Tout d'abord le prix de pétrole a indéniablement joué un rôle, tout le monde a maintenant compris que l'ère du pétrole gratuit, ou peu s'en faut, touche à sa fin, nous sommes rentrés dans l'ère du pétrole cher, car nous avons passé le fameux pic pétrolier et qu'en conséquence l'approvisionnement en pétrole baisse, la France a perdu 10% de son pétrole depuis 2005 ! Cela ne touche d'ailleurs pas que notre pays, même le pays symbole de l'addiction au pétrole, les États-Unis, est touché par cette augmentation du prix des carburants. Voici une infographie éclairante sur la baisse de l'utilisation de la voiture et l'évolution du prix du pétrole, cette infographie a été réalisée à partir des études de la Brookings Intitution.


Source: Arch Daily


D'aucuns verront dans cette infographie la justification de la taxe carbone, montons le prix de l'essence et l'utilisation de la voiture baissera. Cela semble fonctionner, effectivement.

Autre cause qu'il convient de mentionner : la lutte des villes pour désengorger l'espace urbain public. Les grandes villes françaises sont maintenant rentrées en guerre contre le tout voiture, ce qui pousse à laisser les voitures aux abords des agglomérations pour prendre les transports en commun ou le vélo, c'est toujours ça de trafic économisé.

Enfin, un facteur plus surprenant est cité par certaines études, c'est la désaffection de la voiture par la génération Y. Cette désaffection s'explique bien sur par des facteurs économiques comme ceux que j'ai déjà énoncés, mais le résultat est aussi que la voiture perd de son sex-appeal. Pour un jeune aujourd'hui, il est plus valorisant, et moins cher, d'avoir un iPhone XX qu'une voiture qui reste garée plus de 80% de son temps.

On préfère vivre alors dans un périmètre maîtrisé, où la voiture est inutile, et au besoin on remplace certains besoins de déplacement par une utilisation accrue des technologies de l'information. Au lieu d'aller à la Fnac, on commande sur le site et on se fait livrer, et au lieu d'aller voir les potes, on discute en tchat avec des webcams. Vous n'y croyez pas ? Reprenons une autre partie de notre infographie.

 Source: Arch Daily

Cette partie de l'infographie a été réalisée avec les résultats d'un sondage de ZipCar, mais qu'est-ce donc que ZipCar ? Tout simplement une plateforme américaine d'auto-partage. Là-aussi, on mutualise les ressources, au lieu d'une voiture (garée la majorité de temps) pour X personnes, on a maintenant une voiture pour X*N personnes. Ce qui réduit d'autant les besoins de voitures, et ce qui n'arrange bien sur pas les constructeurs. Et ne croyons surtout pas cette évolution réservée à nos amis américains, la consommation partagée fait aussi son trou en France, et pas que pour l'automobile.

Les défaillances de constructeurs vont certainement continuer au fur et à mesure du changement de modèle auquel nous assistons, et la voiture électrique ne changera rien au problème (j'écrirai un billet là-dessus). Faut-il pleurer sur leur sort ? Oui parce que c'est toujours dramatique de perdre son job, et la voiture fait vivre beaucoup de monde. Mais a-t-on pleuré autant quand les fabricants de charrettes ont été remplacés par les voitures ? A-t-on pris à cette époque des mesures pour préserver un marché qui était, de toute façon, condamné à disparaître ? Aujourd'hui, est-ce que cet argent ne serait pas mieux utilisé  pour d'autres choses, comme par exemple, la reconversion des professionnels de l'automobile ?

Le monde change, nous devons nous adapter, je ne pense pas que perpétuer artificiellement des modèles obsolètes soit le meilleur choix à faire.

mercredi 5 décembre 2012

NDDL, symbole d'une société du passé

Peut-être ne le savez-vous pas, mais le projet d'aéroport du Grand-Ouest à Notre-Dame des Landes (NDDL pour les intimes) date de 1965. Dans les années 60, le gouvernement met en effet en place une politique ambitieuse d'aménagement du territoire, on parle déjà de combattre la centralisation. Le 3 septembre 1965, le préfet de Loire-Atlantique demande officiellement à la Direction des Bases Aériennes de lancer le processus de recherche d'un terrain pour l'aéroport prévu dans la Schéma de structure de la métropole Nantes/Saint-Nazaire.

Le site de NDDL est choisi dès 1971, et ce choix sera validé, après un période de sommeil du projet, en 1992 à la demande des conseils généraux de Loire-Atlantique, Ille et Vilaine et de la CCI de Nantes.

Pour ceux et celle que cela intéresse, TerraEco a publié un historique complet.

De 2003 à 2006, l'Etat "déroule" la procédure des enquêtes publiques pour évaluer le projet, et c'est là qu'on commence à rigoler.

En 2002, un document est rédigé par IATA (International Air Transport Association) afin d'évaluer la trafic à NDDL sur la base de différents critères. Or, depuis cette date, nous avons vécu la seconde guerre d'Irak, le passage du pic pétrolier en 2006, et la crise de 2008 qui se poursuit encore en 2012. On peut alors être surpris que ce document fasse toujours référence dans le dossier NDDL alors que nous vivons dans un monde qui a passablement changé en 10 ans.

Cette étude prévoit une croissance du trafic aérien nantais de 3.5% par an sur la période 1999-2019. Pour arriver à ce chiffre, plusieurs aspects sont étudiés et présentés page 50 dans le chapitre Facteurs d'influence, chapitre où deux choses m'interpellent :
  • L'étude tient compte de la croissance économique du pays et de la région, et table sur un maintient de la croissance d'environ 3% par an. Ah oui, mais la croissance de la France n'est justement plus passée au dessus des 3% depuis...2002, date de l'étude. Et en ce moment même, nous dirigeants se démènent pour qu'elle soit simplement positive.
  • Il n'y aucune, je dis bien aucune, mention de l'évolution du prix du pétrole et de sa disponibilité dans les facteurs impactant du projet.
En l'état actuel de nos connaissances, cette étude semble donc plutôt obsolète, et pourtant, elle est toujours versée au dossier de NDDL. Sur le site créé pour présenter la démarche de l'enquête publique de NDDL dans son ensemble, on trouve tous les documents versés au dossier...sauf un document pourtant intéressant, l'évaluation de la faisabilité technico-économique. Je ne vais pas faire mon comploteur de base, voyons y plutôt une simple erreur, mais c'est quand même dommage.

L'enquête publique nous apprend que cette faisabilité a été évaluée au regard de 3 scénarios, scénarios établis sur la base de 9 critères, dont un est : Économie mondiale, géopolitique et prix du pétrole.

En fonction de ce critère, les scénarios étudiés sont :
  • S1
    • Croissance économique de la France de 1.9% par an
    • Prix du baril de pétrole de 60 US$
  • S2
    • Croissance économique plus forte (je n'ai pas trouvé le chiffre)
    •  Prix du baril de pétrole de 60 US$ (toujours !)
  • S3
    •  Croissance économique de la France de 2.4% par an
    •  Prix du baril de pétrole de 80 US$

Tentons de voir si ces hypothèses sont vérifiées, tout d'abord avec l'historique du prix d'un baril de pétrole :
  

Puis avec l'évolution de la croissance française :

Force est de constater que les 2 hypothèses en question, hypothèses majeures pour la justification économique du projet, sont loin d'être vérifiées. Or, c'est au regard de ces hypothèses que l'on a continué ce projet. Dans la même veine, à l'issue de la procédure de justification économique, un prix de construction de NDDL de 550 millions d'euros est avancé, et, selon les 3 scénarios ci-dessus, l'aéroport NDDL est un progrès économique...sauf qu'en 2012 on nous ressert toujours ce prix de construction de 2006 et que les courbes du pétrole et de la croissance du PIB nous montrent une réalité bien loin des hypothèses retenues.
On se dit que la justification de NDDL est pour le moins bancale. Mais ce n'est pas tout. En effet, un des arguments utilisés pour justifier cet aéroport est la saturation de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique (voir le lien vers l'enquête publique ci-dessus), car avec un trafic approchant les 3 millions de voyageurs, les infrastructures actuelles seraient dépassées, d'où le projet de NDDL avec ses deux pistes.
Sur le site du Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, on trouve les statistiques du trafic aérien en France. Pour Nantes, les données historiques sont reproduites sur le graphique suivant :

Source : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Secteur-Aerien,1633-.html

En gris c'est le nombre de passagers, en rouge le nombre de mouvements d'avions sur le tarmac. Que nous apprend ce graphique ? D'une part que le nombre de passagers augmente effectivement de façon régulière, mais d'autre part que le nombre de mouvements oscille depuis plus de 15 ans autour de 38/39 mille mouvements.

C'est intéressant ça, parce qu'on voit bien que les deux courbes n'ont pas une corrélation parfaite. Alors, saturé l'aéroport de Nantes-Atlantique avec sa piste unique de 2900 m ? Voyons ça et examinons ce qui se fait dans le monde avec une piste unique :

  • San-Diego
    • Longueur de piste 2865 m
    • Trafic passagers (2010) 16.9 millions 
    • Mouvements (2009) 199 000
  • Londres Gatwick
    • Longueur de piste 3316 m
    • Trafic passagers (2011) 33 millions
    • Mouvements  251 000
A ceux et celles qui objecteraient que Gatwick a deux pistes, il convient de préciser qu'une seule est réellement en service.A l'étude de ces chiffres, force est de constater que l'aéroport actuel est très probablement loin de la saturation, mais ce ne veut pas dire qu'il ne faille rien faire non plus. En fait les problèmes de Nantes, sont les suivants :
  • Trop peu de mouvements
  • Des avions trop petits
  • Des mouvements d'avions pas assez remplis

Est-ce qu'un autre aéroport va changer la donne ? Bof bof, on ne convaincra pas les parisiens de se taper 2h de TGV pour venir prendre l'avion à Nantes. Oh, wait ! Mais, il n'est pas prévu le train à NDDL !! Ben non, l'enquête publique bouclée en 2006 mentionnait une ligne de tram-train depuis Nantes pour desservir le nouvel aéroport et, quand même, 7000 places de parking.


Depuis, dans le projet de Vinci, constructeur retenu et concessionnaire de l'exploitation, la ligne de tram-train a été repoussée aux calendes grecques, et les parkings augmentés de 7000 à 11000 places. Puisqu'on vous dit qu'il est HQE ce machin !

La desserte justement, parlons un peu de celle de Nantes-Atlantique. Voici une petite vue aérienne de l'aéroport actuel et de son proche environnement.
Source : Google
 
En haut, juste à droite du mot "Périphérique", il y a "Neustrie" qui est la terminal de la ligne 3 du tramway. Ce qui veut dire qu'on peut tout à fait prolonger cette ligne de 3 km pour desservir l'aéroport, d'ailleurs aujourd'hui même, c'est une ligne de bus qui fait la jointure.

Et puis au-dessus et à gauche de la piste, observez bien ce tracé gris qui serpente, c'est la ligne de train Nantes-Pornic. Ce qui veut dire que là aussi, à moindre frais, on pourrait faire une gare de desserte de l'aéroport avec un TGV Paris/Nantes-Atlantique.

Tout ça pour dire que ce projet NDDL est vraiment mal fichu et d'une autre époque au regard des enjeux énergétiques qui nous attendent. Nombre d'élus sont d'ailleurs contres et regroupés au sein d'un collectif. Ces élus ont mandaté un cabinet indépendant, hollandais, CE-Delft qui s'est livré à une analyse coût/bénéfice en proposant un contre-projet avec une 2é piste sur Nantes-Atlantique, pour éviter le survol de la ville, et quelques menus aménagement pour les dessertes. Ce contre-projet est chiffré, ne touche pas à des zones humides sensibles, tire partie des infrastructures déjà en place, bref, un projet un peu plus raisonnable, cohérent et prévu pour affronter l'augmentation du trafic s'il y avait besoin.

Cette étude montre qu'il est possible de faire des modifications substantielles, mais graduelles, à moindre coût, de l'aéroport existant sans se lancer dans des travaux pharaoniques qui ne seront probablement jamais rentables. Ce contre-projet est pour le moment resté lettre morte, mais les opposants à NDDL ne désarment pas.

Je vous conseille aussi de lire le billet de Nicolas Quint sur NDDL, une autre approche, mais tout aussi pertinente.

vendredi 30 novembre 2012

Pétrole mon amour

Le premier billet de ce blog "nouvelle formule" traite donc du pétrole, pas vraiment une surprise pour qui me connaît.

Dans son "World Energy Outlook 2010", l'Agence Internationale de l'Energie publiait une rubrique "Faut-il espérer ou redouter le pic pétrolier ?". Mais qu'est-ce donc que le pic pétrolier ?

Le pic de production d'une ressource, c'est donc valable pour tout ce qui est extrait de la terre, c'est le moment où le rythme de production atteint un plafond et n'augmente plus. C'est une fonction mathématique que je suis bien incapable de démontrer, mais ça donne (ici appliquée à un champ pétrolier) :

Source : http://www.avenir-sans-petrole.org/

Que signifie cette "cloche" ? Tout simplement que, grosso modo, on a consommé la moitié de la ressource. Les optimistes parleront de verre à moitié plein, les pessimistes de verre à moitié vide. La bonne nouvelle c'est qu'il reste encore la moitié de la ressource.

Pour le pétrole c'est une fausse bonne nouvelle, d'une part à cause de la contrainte climatique qui voudrait qu'on laisse sagement tout ça dans le sous sol, d'autre part parce que la première moitié de la ressource, c'est la partie facile. La moitié qui reste est, elle, beaucoup plus difficile à extraire, et les exemples montrent que la courbe de descente des champs pétrolier est en général plus raide que la montée, ce qui signifie que la ressource s'épuise à un rythme accru.

Revenons à notre "World Energy Outlook", que lit-on en page 7 ?

La production de pétrole brut se stabilise plus ou moins autour de 68-69 Mb/j à l’horizon 2020, mais ne retrouve jamais le niveau record de 70 Mb/j qu’elle a atteint en 2006.

Voici donc comment une instance d'ordinaire très optimiste annonce que l'abondance de pétrole dans le monde, c'est fini. Et c'est grave docteur ? En fait tout dépend de ce que l'on entend par "grave", mais si on considère que la pétrole fournit aujourd'hui 98% (si si, vous avez bien lu) de l'énergie des transports, alors on peut s'attendre à des conséquences très importantes dans le futur.

Le futur ? En fait pas vraiment, nous pouvons parler directement de maintenant. Par exemple, pour nombre d'analystes des questions énergétiques, la crise qui a éclaté en 2008 est due pour bonne part à l'augmentation du prix du baril qui avait atteint 147 $. Les populations américaines n'étant pas protégées par les taxes que nous payons, en France, sur notre carburant, elles ont subi directement l'augmentation du prix à la pompe, rendant toute une frange de la population insolvable ; ces mêmes personnes étaient aussi celles qui avaient contracté les célèbres subprimes, la suite, on la subit encore.

Mais ça touche beaucoup de pays le pic pétrolier ? Pas mal oui, David Strahan, auteur de bouquins sur ces questions a publié une carte, en rouge, ce sont les pays qui sont en déplétion, c'est à dire que leur production diminue.



Ca en fait quand même beaucoup ! En 2011, Peter Voser, PDG de Shell, annonce que ses champs s'épuisent de 5% par an. Et qu'à l'horizon 2020 (demain donc), rien que pour compenser le déclin des champs existants, l'humanité doit trouver l'équivalent de 4 fois la production actuelle de l'Arabie Saoudite !! Pour aller plus loin sur ce point, je vous conseille la lecture de ce billet de Matthieu Auzanneau.

Sachant qu'il faut 10 ans entre la découverte d'un gisement, et sa mise en production, autant dire que c'est perdu d'avance. Un plan B peut-être ? En fait non, il est trop tard au regard des ordres de grandeur en jeu, il aurait fallu se préoccuper de cette question il y a 20 ans. Pour vous en convaincre, je vous encourage à écouter cette émission de France Culture dédiée au pétrole.


Pourquoi je vous parle de ça au fait ? Tout simplement parce que tout cela démontre une chose : continuer aujourd'hui comme nous le faisons, c'est à dire business as usual est une bétise sans nom qui nous envoie, tous, dans un mur, et nous aurons du mal à nous en remettre.

Ce n'est pas du pessimisme de dire ça, car les solutions existent, mais elles demandent que le fonctionnement de notre monde, et en particulier de l'économie, soit remis entièrement sur la table. Et malheureusement (là c'est du pessimisme) les forces politiques et économiques à l'oeuvre actuellement font tout pour empêcher cette remise en cause.

Si je vous parle de ça aujourd'hui, c'est parce que ce billet va constituer la base de nombre des billets à venir sur ce blog. La prochaine fois, on parlera aéroport et de Notre-Dame des Landes.