mercredi 5 décembre 2012

NDDL, symbole d'une société du passé

Peut-être ne le savez-vous pas, mais le projet d'aéroport du Grand-Ouest à Notre-Dame des Landes (NDDL pour les intimes) date de 1965. Dans les années 60, le gouvernement met en effet en place une politique ambitieuse d'aménagement du territoire, on parle déjà de combattre la centralisation. Le 3 septembre 1965, le préfet de Loire-Atlantique demande officiellement à la Direction des Bases Aériennes de lancer le processus de recherche d'un terrain pour l'aéroport prévu dans la Schéma de structure de la métropole Nantes/Saint-Nazaire.

Le site de NDDL est choisi dès 1971, et ce choix sera validé, après un période de sommeil du projet, en 1992 à la demande des conseils généraux de Loire-Atlantique, Ille et Vilaine et de la CCI de Nantes.

Pour ceux et celle que cela intéresse, TerraEco a publié un historique complet.

De 2003 à 2006, l'Etat "déroule" la procédure des enquêtes publiques pour évaluer le projet, et c'est là qu'on commence à rigoler.

En 2002, un document est rédigé par IATA (International Air Transport Association) afin d'évaluer la trafic à NDDL sur la base de différents critères. Or, depuis cette date, nous avons vécu la seconde guerre d'Irak, le passage du pic pétrolier en 2006, et la crise de 2008 qui se poursuit encore en 2012. On peut alors être surpris que ce document fasse toujours référence dans le dossier NDDL alors que nous vivons dans un monde qui a passablement changé en 10 ans.

Cette étude prévoit une croissance du trafic aérien nantais de 3.5% par an sur la période 1999-2019. Pour arriver à ce chiffre, plusieurs aspects sont étudiés et présentés page 50 dans le chapitre Facteurs d'influence, chapitre où deux choses m'interpellent :
  • L'étude tient compte de la croissance économique du pays et de la région, et table sur un maintient de la croissance d'environ 3% par an. Ah oui, mais la croissance de la France n'est justement plus passée au dessus des 3% depuis...2002, date de l'étude. Et en ce moment même, nous dirigeants se démènent pour qu'elle soit simplement positive.
  • Il n'y aucune, je dis bien aucune, mention de l'évolution du prix du pétrole et de sa disponibilité dans les facteurs impactant du projet.
En l'état actuel de nos connaissances, cette étude semble donc plutôt obsolète, et pourtant, elle est toujours versée au dossier de NDDL. Sur le site créé pour présenter la démarche de l'enquête publique de NDDL dans son ensemble, on trouve tous les documents versés au dossier...sauf un document pourtant intéressant, l'évaluation de la faisabilité technico-économique. Je ne vais pas faire mon comploteur de base, voyons y plutôt une simple erreur, mais c'est quand même dommage.

L'enquête publique nous apprend que cette faisabilité a été évaluée au regard de 3 scénarios, scénarios établis sur la base de 9 critères, dont un est : Économie mondiale, géopolitique et prix du pétrole.

En fonction de ce critère, les scénarios étudiés sont :
  • S1
    • Croissance économique de la France de 1.9% par an
    • Prix du baril de pétrole de 60 US$
  • S2
    • Croissance économique plus forte (je n'ai pas trouvé le chiffre)
    •  Prix du baril de pétrole de 60 US$ (toujours !)
  • S3
    •  Croissance économique de la France de 2.4% par an
    •  Prix du baril de pétrole de 80 US$

Tentons de voir si ces hypothèses sont vérifiées, tout d'abord avec l'historique du prix d'un baril de pétrole :
  

Puis avec l'évolution de la croissance française :

Force est de constater que les 2 hypothèses en question, hypothèses majeures pour la justification économique du projet, sont loin d'être vérifiées. Or, c'est au regard de ces hypothèses que l'on a continué ce projet. Dans la même veine, à l'issue de la procédure de justification économique, un prix de construction de NDDL de 550 millions d'euros est avancé, et, selon les 3 scénarios ci-dessus, l'aéroport NDDL est un progrès économique...sauf qu'en 2012 on nous ressert toujours ce prix de construction de 2006 et que les courbes du pétrole et de la croissance du PIB nous montrent une réalité bien loin des hypothèses retenues.
On se dit que la justification de NDDL est pour le moins bancale. Mais ce n'est pas tout. En effet, un des arguments utilisés pour justifier cet aéroport est la saturation de l'aéroport actuel de Nantes-Atlantique (voir le lien vers l'enquête publique ci-dessus), car avec un trafic approchant les 3 millions de voyageurs, les infrastructures actuelles seraient dépassées, d'où le projet de NDDL avec ses deux pistes.
Sur le site du Ministère de l’Écologie, du Développement Durable et de l’Énergie, on trouve les statistiques du trafic aérien en France. Pour Nantes, les données historiques sont reproduites sur le graphique suivant :

Source : http://www.developpement-durable.gouv.fr/-Secteur-Aerien,1633-.html

En gris c'est le nombre de passagers, en rouge le nombre de mouvements d'avions sur le tarmac. Que nous apprend ce graphique ? D'une part que le nombre de passagers augmente effectivement de façon régulière, mais d'autre part que le nombre de mouvements oscille depuis plus de 15 ans autour de 38/39 mille mouvements.

C'est intéressant ça, parce qu'on voit bien que les deux courbes n'ont pas une corrélation parfaite. Alors, saturé l'aéroport de Nantes-Atlantique avec sa piste unique de 2900 m ? Voyons ça et examinons ce qui se fait dans le monde avec une piste unique :

  • San-Diego
    • Longueur de piste 2865 m
    • Trafic passagers (2010) 16.9 millions 
    • Mouvements (2009) 199 000
  • Londres Gatwick
    • Longueur de piste 3316 m
    • Trafic passagers (2011) 33 millions
    • Mouvements  251 000
A ceux et celles qui objecteraient que Gatwick a deux pistes, il convient de préciser qu'une seule est réellement en service.A l'étude de ces chiffres, force est de constater que l'aéroport actuel est très probablement loin de la saturation, mais ce ne veut pas dire qu'il ne faille rien faire non plus. En fait les problèmes de Nantes, sont les suivants :
  • Trop peu de mouvements
  • Des avions trop petits
  • Des mouvements d'avions pas assez remplis

Est-ce qu'un autre aéroport va changer la donne ? Bof bof, on ne convaincra pas les parisiens de se taper 2h de TGV pour venir prendre l'avion à Nantes. Oh, wait ! Mais, il n'est pas prévu le train à NDDL !! Ben non, l'enquête publique bouclée en 2006 mentionnait une ligne de tram-train depuis Nantes pour desservir le nouvel aéroport et, quand même, 7000 places de parking.


Depuis, dans le projet de Vinci, constructeur retenu et concessionnaire de l'exploitation, la ligne de tram-train a été repoussée aux calendes grecques, et les parkings augmentés de 7000 à 11000 places. Puisqu'on vous dit qu'il est HQE ce machin !

La desserte justement, parlons un peu de celle de Nantes-Atlantique. Voici une petite vue aérienne de l'aéroport actuel et de son proche environnement.
Source : Google
 
En haut, juste à droite du mot "Périphérique", il y a "Neustrie" qui est la terminal de la ligne 3 du tramway. Ce qui veut dire qu'on peut tout à fait prolonger cette ligne de 3 km pour desservir l'aéroport, d'ailleurs aujourd'hui même, c'est une ligne de bus qui fait la jointure.

Et puis au-dessus et à gauche de la piste, observez bien ce tracé gris qui serpente, c'est la ligne de train Nantes-Pornic. Ce qui veut dire que là aussi, à moindre frais, on pourrait faire une gare de desserte de l'aéroport avec un TGV Paris/Nantes-Atlantique.

Tout ça pour dire que ce projet NDDL est vraiment mal fichu et d'une autre époque au regard des enjeux énergétiques qui nous attendent. Nombre d'élus sont d'ailleurs contres et regroupés au sein d'un collectif. Ces élus ont mandaté un cabinet indépendant, hollandais, CE-Delft qui s'est livré à une analyse coût/bénéfice en proposant un contre-projet avec une 2é piste sur Nantes-Atlantique, pour éviter le survol de la ville, et quelques menus aménagement pour les dessertes. Ce contre-projet est chiffré, ne touche pas à des zones humides sensibles, tire partie des infrastructures déjà en place, bref, un projet un peu plus raisonnable, cohérent et prévu pour affronter l'augmentation du trafic s'il y avait besoin.

Cette étude montre qu'il est possible de faire des modifications substantielles, mais graduelles, à moindre coût, de l'aéroport existant sans se lancer dans des travaux pharaoniques qui ne seront probablement jamais rentables. Ce contre-projet est pour le moment resté lettre morte, mais les opposants à NDDL ne désarment pas.

Je vous conseille aussi de lire le billet de Nicolas Quint sur NDDL, une autre approche, mais tout aussi pertinente.

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